
Dans l’univers feutré des voitures électriques, un paradoxe inattendu se dessine. Si leur silence est souvent cité comme l’un des grands atouts de cette technologie, il devient aussi un problème de sécurité pour les piétons et cyclistes. Pour pallier ce silence, les constructeurs sont tenus par la loi d’équiper leurs véhicules de sons artificiels à basse vitesse. Mais selon une récente étude suédoise, ces bruits censés rassurer… peuvent en réalité semer la confusion, et même représenter un danger.
Un bruit artificiel obligatoire… mais mal conçu
Depuis 2019 en Europe, toutes les voitures électriques et hybrides doivent émettre un bruit spécifique à moins de 20 km/h. Aux États-Unis, cette limite est fixée à 30 km/h. Ce système, appelé AVAS (Acoustic Vehicle Alerting System), a pour but de signaler la présence du véhicule aux usagers vulnérables de la route, en particulier dans les zones piétonnes, les parkings ou en centre-ville.
Le principe est simple : remplacer le ronronnement d’un moteur thermique par un son artificiel, suffisamment audible pour attirer l’attention. Chaque constructeur peut concevoir sa propre signature sonore. Certains, comme BMW, font même appel à des compositeurs de renom – Hans Zimmer en l’occurrence – pour donner une identité acoustique à leurs modèles. Mais cette liberté créative, combinée à une approche trop théorique, pose aujourd’hui de sérieux problèmes.
Une perception humaine mise à mal
L’étude menée par l’université Chalmers, en Suède, révèle un défaut fondamental de ces sons artificiels. Testés en laboratoire, dans des environnements sans bruit ambiant, ils ne tiennent pas compte de la complexité de la perception humaine dans un contexte réel.
Dans un parking, par exemple, lorsque plusieurs véhicules électriques circulent en même temps, les participants de l’étude ont été incapables de localiser correctement les sources sonores. Contrairement aux moteurs thermiques, qui produisent un son riche en fréquences et en variations, les signaux AVAS sont trop simples, trop monotones. Résultat : le cerveau humain ne parvient pas à en interpréter correctement la direction ni la distance.
Le professeur Wolfgang Kropp, expert en acoustique à l’université de Chalmers, résume le problème : « Il faut trouver un équilibre entre un signal détectable, localisable, mais pas stressant. » Une tâche loin d’être évidente, surtout quand les constructeurs privilégient une signature de marque à la clarté du signal.
La menace d’un brouhaha électrique
Le paradoxe est d’autant plus flagrant que ces sons, censés améliorer la sécurité, peuvent en réalité la détériorer. Dans une rue animée, un piéton pourrait ne pas savoir d’où vient le danger si deux ou trois véhicules électriques approchent simultanément. Ce phénomène est accentué par la similarité de certains sons entre marques, faute de normes strictes sur la différenciation acoustique.
Pire encore : dans des environnements urbains saturés de bruit (voix, musique, klaxons), ces signaux peu complexes peuvent être noyés ou confondus. L’intention de prévenir se transforme alors en un nouveau risque, celui de la confusion auditive.
Un chantier de refonte sonore
Pour éviter de transformer nos villes en jungle de bips et de bourdonnements indétectables, une refonte du design sonore s’impose. L’étude suédoise appelle à une approche plus pragmatique, ancrée dans le réel.
Première recommandation : tester les sons dans des environnements urbains, et non plus uniquement en laboratoire. Il est impératif d’analyser leur efficacité en présence de bruit ambiant, là où la perception humaine est la plus sollicitée.
Deuxième axe : standardiser les sons tout en préservant leur diversité. Il ne s’agit pas de rendre tous les véhicules identiques sur le plan sonore, mais de créer une palette assez différenciée pour permettre à chacun d’être localisable.
Enfin, les constructeurs devront peut-être apprendre à collaborer sur cet aspect. Si chaque marque continue à produire des sons similaires ou non optimisés, l’efficacité de l’AVAS sera compromise, au détriment de la sécurité de tous.

Vers une ville plus audible et plus sûre ?
L’arrivée massive des voitures électriques bouleverse nos repères auditifs. Là où le rugissement d’un moteur thermique suffisait à alerter, le chuchotement électronique des véhicules modernes nous oblige à réinventer nos codes.
Il ne s’agit pas de revenir en arrière, ni de compromettre le confort acoustique si apprécié de ces véhicules. Mais d’adapter leur sonorité à la réalité de nos villes et aux capacités sensorielles humaines.
Le son d’une voiture électrique ne doit pas seulement être audible. Il doit aussi être compréhensible. Car entre le silence et la cacophonie, la sécurité se joue… à l’oreille.