
Dans une ville où l’air est devenu un poison invisible, les autorités indiennes viennent de prendre une décision radicale. À New Delhi, mégalopole tentaculaire de 30 millions d’habitants, la guerre contre la pollution atmosphérique prend une tournure inédite : depuis le 1er juillet 2025, les véhicules anciens ne peuvent plus faire le plein de carburant. Une mesure choc destinée à réduire les émissions toxiques dans l’une des capitales les plus polluées du monde.
Une urgence sanitaire permanente
Chaque année, la pollution atmosphérique tue. Et pas qu’un peu. Une étude publiée dans *The Lancet* chiffre à 1,67 million le nombre de morts prématurées liées à la pollution en Inde pour la seule année 2019. Cancers, maladies cardiaques, problèmes respiratoires : les gaz issus du trafic automobile, de l’industrie et des brûlis agricoles forment un cocktail mortel dans les rues de la capitale indienne. L’hiver venu, le smog s’épaissit, forçant les écoles à fermer, les entreprises à ralentir et les hôpitaux à déborder.
Une flotte vétuste et massive
Le problème est d’une ampleur gigantesque. Plus de 6 millions de véhicules circulent quotidiennement dans la ville. Une bonne partie d’entre eux sont des véhicules anciens, bien au-delà des normes actuelles en matière d’émissions polluantes. Depuis 2018, une décision de justice interdit pourtant les voitures essence de plus de 15 ans et les diesels de plus de 10 ans dans les rues de New Delhi. Mais l’application de cette mesure est restée largement théorique, faute de contrôle et de volonté politique suffisante.

Une mesure radicale et symbolique
Cette fois, les autorités semblent bien décidées à passer à l’action. En interdisant purement et simplement le ravitaillement en carburant des véhicules les plus anciens, elles coupent l’accès à la route à une large part des pollueurs. L’application de cette mesure repose sur un dispositif de contrôle ambitieux : des policiers postés aux stations-service, des caméras de surveillance, des haut-parleurs, et même des ordres de remorquage en direction de la casse pour les contrevenants.
Un policier, interrogé par l’AFP, explique que les consignes sont claires : refuser tout carburant aux véhicules concernés et, en cas de refus de collaboration, faire appel aux services de remorquage. La mesure semble efficace sur le papier. Mais dans un pays où la débrouille fait souvent loi et où la corruption peut s’infiltrer à tous les niveaux, beaucoup redoutent une application en demi-teinte.
Une pollution qui coûte des vies… mais aussi de l’argent
Au-delà des drames humains, la pollution coûte également des milliards à l’économie indienne. Fermetures répétées des écoles, baisse de productivité, surcoût pour le système de santé… La pollution de l’air est devenue une entrave majeure au développement durable du pays. Dans ce contexte, les autorités de New Delhi cherchent à envoyer un signal fort, à la population comme à l’État central.
Cette interdiction pourrait bien être le premier jalon d’une série de décisions plus structurantes, allant vers une électrification du parc automobile, un renforcement des transports en commun et une refonte du modèle urbain. Pour l’heure, les experts restent prudents. Car une chose est certaine : la mesure doit être suivie d’effet pour être crédible.
Entre pollution et insécurité routière : un double combat
Le défi ne s’arrête pas là. La route en Inde, c’est aussi une hécatombe quotidienne. Depuis 2014, le pays enregistre en moyenne plus de 155 000 décès par an sur ses routes. Un tiers d’entre eux sont des usagers de deux-roues, souvent peu protégés et circulant dans un chaos motorisé permanent. En limitant la circulation des véhicules les plus vétustes, le gouvernement espère aussi agir indirectement sur cette insécurité.
Le début d’un changement de cap ?
New Delhi est souvent décrite comme l’un des pires endroits au monde pour respirer. La mise en place de cette nouvelle restriction pourrait marquer un tournant, si tant est qu’elle soit sérieusement appliquée et qu’elle s’inscrive dans une stratégie globale. L’Inde ne pourra pas éternellement sacrifier la santé de ses citoyens au nom de la croissance ou de la mobilité bon marché.
L’exemple de New Delhi montre qu’un changement est possible, même s’il implique des décisions difficiles et impopulaires. Reste à voir si la capitale indienne réussira là où tant d’autres ont échoué : faire respirer ses habitants à nouveau.