Ford reconnaît sa bévue stratégique et relance les citadines et compactes en Europe
L’aveu est rare dans l’industrie automobile : Ford admet aujourd’hui que son recentrage sur les SUV au détriment des citadines et berlines compactes a été une erreur. Après plusieurs années de retrait progressif de ces segments phares, la marque à l’ovale bleu s’apprête à faire machine arrière. Objectif : reconquérir un public européen lassé par l’uniformisation de l’offre et la transition mal maîtrisée vers l’électrique.
Une stratégie qui a échoué
En 2023, Ford tirait un trait définitif sur la Fiesta, modèle emblématique écoulé à des millions d’exemplaires depuis plus de 40 ans. Dans la foulée, la marque avait également supprimé de son catalogue la Mondeo, le C-Max, le S-Max et le Galaxy. D’ici l’automne 2025, la Focus, dernière berline compacte du constructeur, vivra elle aussi ses derniers mois. Résultat : Ford ne propose quasiment plus que des SUV sur le Vieux Continent, avec un catalogue réduit à la Puma, au Kuga, aux versions électriques de la Mustang, du nouveau Explorer et du tout récent Capri.
Mais cette stratégie « tout SUV, tout électrique » n’a pas produit les résultats attendus. Sur les cinq premiers mois de l’année 2025, le Puma reste solide avec plus de 64 000 unités écoulées, suivi du Kuga et d’une Focus encore en vie, mais les nouveaux modèles électriques peinent à convaincre. L’Explorer n’a trouvé que 15 764 preneurs, tandis que le Capri, lancé à la fin de 2024, plafonne à 5 068 exemplaires. Un véritable échec commercial.
La clientèle européenne, visiblement peu séduite par cette nouvelle offre, se détourne. Les distributeurs s’inquiètent. Et Ford voit ses parts de marché s’éroder sur les segments B et C, autrefois ses bastions.
Retour aux fondamentaux
Face à la pression de son réseau de concessionnaires et aux performances décevantes de ses SUV électriques, la direction européenne de Ford change de cap. C’est Christoph Herr, directeur général pour l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, qui a livré l’information lors d’une récente vidéoconférence. Le feu vert a été donné par le PDG mondial, Jim Farley, pour concevoir une nouvelle gamme de modèles spécialement destinée à l’Europe. Le but est clair : combler le vide laissé par les Fiesta et Focus, et répondre à une demande bien réelle pour des voitures de dimensions plus modestes, plus accessibles et adaptées à l’usage urbain.
Les nouveaux modèles devraient être variés, avec un mélange de motorisations thermiques, hybrides et électriques. Cette diversification s’impose alors que le marché européen reste majoritairement réticent à une électrification rapide. Au premier trimestre 2025, les voitures électriques représentaient seulement 17 % des ventes neuves en Europe. Un chiffre bien éloigné des objectifs affichés il y a encore quelques années.

Vers une renaissance de la Fiesta ?
Si Ford reste encore discret sur les modèles à venir, plusieurs sources évoquent le retour possible de la Fiesta, cette fois sur une base partagée avec les futures Cupra Raval ou Volkswagen ID.2. Cette collaboration avec le groupe Volkswagen, déjà exploitée pour les Explorer et Capri via la plateforme MEB, permettrait à Ford de proposer une citadine électrique à prix compétitif, capable de rivaliser avec les offres de Stellantis et Renault sur le segment des petits véhicules à batterie.
Ce retour aux compactes et citadines s’annonce aussi comme une nécessité économique. Avec un catalogue réduit et des ventes stagnantes sur les nouveaux modèles, Ford peine à maintenir des niveaux de production rentables dans ses usines européennes. Le site de Cologne, pivot de sa stratégie électrique en Europe, traverse une phase délicate : jusqu’à 2 900 postes pourraient être supprimés par le biais de départs volontaires, malgré un investissement de 2 milliards de dollars. Un accord de protection de l’emploi jusqu’en 2032 a néanmoins été trouvé pour éviter les licenciements secs.
Une relance indispensable
L’annonce de ce revirement stratégique n’est pas anodine. Elle répond à une attente croissante des clients comme des distributeurs, qui réclament plus de diversité et de pragmatisme dans l’offre Ford. Ces dernières années, la montée en puissance du SUV Puma sur le segment des citadines a masqué les difficultés, mais elle ne suffit plus à combler les pertes liées à la disparition des modèles phares.
La relance des citadines et compactes n’est pas seulement un choix tactique, c’est un impératif pour préserver la compétitivité de Ford en Europe. Les années à venir seront décisives : le constructeur devra réussir à réintroduire des modèles attractifs, rentables et adaptés aux réalités du marché européen, tout en poursuivant sa transition vers une mobilité plus durable.
En somme, le retour de Ford sur les segments B et C incarne une forme d’humilité stratégique, un rééquilibrage entre ambition électrique et réalisme commercial. Et si ce virage est bien négocié, il pourrait marquer le début d’un nouveau cycle vertueux pour la marque en Europe.
