
À l’approche de la fameuse “clause de revoyure” prévue pour 2026, la fracture se creuse entre les principales puissances automobiles européennes. Tandis que l’Allemagne et l’Italie militent pour le maintien de certaines motorisations thermiques au-delà de 2035, la France campe sur une position ferme : dès cette date, seuls les véhicules zéro émission auront leur place sur le marché, ce qui exclut totalement les moteurs essence, diesel, mais aussi les hybrides, même rechargeables.
Une stratégie industrielle assumée
Le ministère français de l’Industrie et des Transports l’a clairement indiqué : “Il faut conserver cet objectif, ce cap de 2035 pour décarboner les véhicules.” La position française est cohérente avec les investissements massifs réalisés dans le secteur de la voiture électrique, à commencer par Renault, qui a placé l’électrique au centre de sa stratégie de développement. De Douai à Flins, les usines se convertissent, les modèles s’enchaînent, et la France devient l’un des pays européens les mieux positionnés pour répondre à cette mutation.
La France défend également une logique de souveraineté industrielle : pour éviter que la transition vers le véhicule électrique ne profite à la Chine ou aux États-Unis, elle veut à tout prix maintenir une production locale et compétitive, misant sur le nucléaire, l’hydroélectricité et les énergies renouvelables pour proposer une électricité décarbonée au service de la mobilité.
L’Allemagne joue la carte des carburants de synthèse
En face, l’Allemagne, elle, ne veut pas renoncer si facilement au moteur thermique. Le puissant lobby des constructeurs allemands, incarné par la VDA (association des constructeurs automobiles), a récemment publié un manifeste en dix points plaidant pour un mix technologique plus large. Parmi les propositions : l’intégration des carburants de synthèse et de l’hydrogène, des alternatives encore loin d’être compétitives économiquement et technologiquement à grande échelle.
Cette position reflète l’influence de marques comme Porsche ou BMW, qui peinent à convertir leur clientèle au 100 % électrique. Les constructeurs allemands soulignent également un problème de fond : l’essor de la voiture électrique reste trop lent, et son coût n’est pas encore attractif pour une majorité d’Européens. Ils demandent donc un assouplissement des objectifs climatiques, en ramenant la cible de -100 % de CO2 en 2035 à -90 %, et souhaitent que les hybrides rechargeables soient maintenus dans la course.
Des tensions européennes grandissantes
L’Italie, quant à elle, défend une troisième voie : celle des biocarburants. Elle y voit une solution plus souple, permettant de conserver le moteur à combustion tout en s’inscrivant dans une logique de réduction des émissions. Résultat, les trois grandes nations automobiles de l’UE semblent aujourd’hui sur des trajectoires divergentes.
Or, en 2026, l’Union européenne devra trancher : maintenir la fin stricte des ventes de véhicules thermiques neufs ou ouvrir la porte à des exceptions. La France, forte de ses choix industriels, semble bien décidée à ne pas plier, même si elle laisse la porte entrouverte à des technologies réellement neutres en carbone. Pour l’instant, seule la voiture électrique remplit ce critère dans les proportions nécessaires.
Un bras de fer aux multiples enjeux
Derrière ce débat technique, c’est un affrontement politique, économique et écologique qui se profile. L’enjeu ne se limite pas aux choix de motorisation, mais concerne la compétitivité industrielle du Vieux Continent face aux géants asiatiques, la transition énergétique et l’avenir de millions d’emplois dans l’automobile.
Le gouvernement français l’a bien compris : la transition doit être juste, maîtrisée et locale. “Ce qu’on veut, c’est éviter que la transition vers le véhicule électrique soit une transition vers un véhicule produit hors d’Europe”, a rappelé le ministère. Pour y parvenir, la France compte sur sa filière industrielle et sur une énergie décarbonée, atouts majeurs face à des pays où l’électricité reste fortement carbonée et coûteuse.
Vers une bataille diplomatique européenne
Alors que 2026 s’annonce décisive, les positions des États membres s’aiguisent. Une guerre d’influence se dessine à Bruxelles. L’Allemagne, forte de son poids économique, entend peser de tout son poids pour assouplir les règles. Mais la France, appuyée par une vision claire et une industrie déjà orientée vers le tout électrique, pourrait bien faire pencher la balance.
Quoi qu’il arrive, le dossier promet d’agiter l’actualité européenne. Derrière la guerre des moteurs, c’est l’avenir de l’automobile européenne qui se joue. Et la France, en misant sur une transition rapide, veut prouver qu’il est possible d’allier écologie, industrie et compétitivité.