
Le marché automobile mondial est sous pression, et la Chine y joue une partition pour le moins controversée. Officiellement championne des exportations de véhicules, la Chine multiplie les records en matière de volumes vendus à l’étranger. Mais derrière ces chiffres mirobolants se cache une réalité bien plus opaque : l’Empire du Milieu écoule massivement des véhicules neufs maquillés en occasions, créant une distorsion majeure sur les marchés mondiaux.
Une stratégie aussi simple qu’efficace : immatriculer pour contourner
Le mécanisme, mis au jour par Reuters, repose sur une idée redoutablement simple. Dès leur sortie d’usine, les véhicules sont immatriculés sur le sol chinois, souvent par des exportateurs eux-mêmes, puis immédiatement reclassés en tant que « voitures d’occasion ». Pourtant, ces véhicules n’ont jamais roulé. Résultat : ils échappent aux restrictions douanières appliquées aux voitures neuves, mais conservent toutes les caractéristiques d’un véhicule sortant de la chaîne de montage.
Cette astuce est d’autant plus redoutable qu’elle bénéficie d’un soutien massif au niveau local. Plus de vingt gouvernements provinciaux encouragent activement cette pratique en Chine. À Shenzhen, par exemple, des infrastructures entières ont été mises en place pour faciliter ces exportations : entrepôts gratuits près des frontières, remises fiscales incitatives, plateformes de revente sur Alibaba. Objectif affiché : expédier 400 000 véhicules par an.
Des chiffres records, mais biaisés
En 2024, près de 436 000 véhicules d’occasion ont quitté la Chine selon la China Automobile Dealers Association. Le hic, c’est que 90 % d’entre eux étaient en réalité des véhicules flambant neufs. Cela fausse radicalement les statistiques. D’après JATO Dynamics, la part de marché mondiale des constructeurs chinois est ainsi surévaluée de 25 %.
Cette inflation artificielle des chiffres ne relève pas simplement d’un tour de passe-passe statistique. Elle a des conséquences bien réelles : les marchés importateurs voient affluer des véhicules à bas prix, ce qui déséquilibre les industries locales, brouille la lecture des données de vente et génère une guerre des prix à l’échelle internationale.
Des effets dévastateurs sur les marchés émergents
Certains pays commencent déjà à ressentir l’impact de cette stratégie chinoise. Le Brésil, par exemple, a vu arriver plus de 22 000 véhicules électriques chinois en cinq mois. Ces modèles, censés être d’occasion, représentent aujourd’hui jusqu’à 85 % des ventes de VE dans le pays. En réaction, le gouvernement brésilien prévoit une hausse drastique des droits de douane sur ces véhicules : jusqu’à 35 % d’ici 2026.
En Russie, 185 000 véhicules chinois ont été importés sous ce régime, et en Asie centrale, les voitures « d’occasion » estampillées made in China occupent désormais près de la moitié du marché.
Mais ces importations massives posent aussi des problèmes de confiance. Au Kazakhstan, selon une étude Autostat 2025, 62 % des acheteurs de modèles BYD « d’occasion » ont rencontré des problèmes de garantie. Les consommateurs se retrouvent démunis face à des véhicules qui, bien que neufs en apparence, ne bénéficient pas des garanties standard de leur marché local.
L’Europe encore épargnée, mais pour combien de temps ?
Pour le moment, l’Europe semble protégée de cette vague de « faux véhicules d’occasion ». Les constructeurs chinois y adoptent une approche différente, misant sur la transparence et l’implantation locale. BYD, par exemple, a ouvert une usine en Hongrie qui produira jusqu’à 200 000 véhicules par an. Xpeng et MG (filiale de SAIC) affichent également une volonté de respecter les règles européennes.
Mais la méfiance grandit. L’image des constructeurs chinois en pâtit, car ce qui se passe sur d’autres continents finit toujours par rejaillir. Même si les règles anti-dumping de l’Union européenne rendent difficile l’importation de ces véhicules déguisés, les pratiques observées ailleurs alimentent les soupçons.
Une alerte pour l’Organisation mondiale du commerce
Face à cette situation, les instances internationales commencent à s’alarmer. Trente-sept plaintes ont été déposées auprès de l’OMC pour « dumping déguisé ». L’Alliance Automobile Mondiale, qui regroupe 34 pays, cherche à harmoniser les pratiques de contrôle et à rétablir un équilibre commercial. Car au-delà des chiffres, c’est toute la stabilité des marchés qui est menacée.
En Chine même, la méthode divise. Certains poids lourds de l’industrie dénoncent publiquement cette stratégie. Wei Jianjun, patron de Great Wall Motor, a mis en garde contre une crise à venir. Zhu Huarong, président de Changan, appelle à une régulation plus stricte, soulignant que ces pratiques pourraient sérieusement nuire à l’image des marques chinoises à l’international.
Un équilibre difficile à maintenir
Avec une production qui devrait atteindre 4,7 millions de véhicules en 2025 et un marché intérieur saturé, la Chine cherche désespérément des débouchés pour ses constructeurs. Mais la stratégie actuelle, si elle offre des résultats immédiats, pourrait se retourner contre elle. En trichant sur les chiffres et en sapant la confiance des marchés, elle met en péril sa crédibilité sur le long terme.
La crise est désormais autant commerciale que politique. Pékin doit choisir entre soutenir une croissance industrielle à court terme, ou préserver une réputation déjà fragilisée sur la scène internationale. Une décision qui pèsera lourd sur l’avenir de l’automobile chinoise dans le monde.