
Depuis un an, les automobilistes empruntant l’A13 et l’A14 entre Paris et la Normandie découvrent un tout nouveau visage de l’autoroute : celui du péage sans barrières. Ce système en « flux libre », déployé en juin 2024 sur l’A14 puis en décembre sur l’A13, repose sur une promesse séduisante : faire disparaître les arrêts au péage et offrir une circulation plus fluide. Un an après sa mise en service, la Sanef, gestionnaire de ces axes, dresse un bilan très encourageant avec un taux de paiements spontanés de 94 %. Mais derrière cette réussite apparente, la réalité est plus contrastée.
Une promesse de fluidité largement tenue
Le principe du péage en flux libre est simple : des portiques bardés de caméras et de capteurs lisent les plaques d’immatriculation des véhicules au passage, sans qu’ils aient besoin de s’arrêter. Le paiement peut se faire automatiquement via le télépéage, par association de la plaque à une carte bancaire, ou ultérieurement sur internet ou en point de vente.
Et les résultats sont là : jusqu’à 30 minutes de trajet gagnées les jours de fort trafic, notamment entre Paris et Caen. Deux tiers des passages sont effectués via le télépéage, et plus de 120 000 usagers ont enregistré leur plaque d’immatriculation pour un prélèvement automatique. Au total, 54 millions de passages ont été enregistrés, pour 3,2 millions de plaques différentes, preuve de l’ampleur du dispositif. Cette évolution, déjà bien implantée au Portugal ou en Norvège, commence donc à trouver sa place en France.
Une gestion en coulisses plus chaotique
Derrière cette fluidité retrouvée, le dispositif fait cependant face à une complexité administrative grandissante. Le chiffre est saisissant : 40 000 vérifications sont traitées chaque jour par les équipes de la Sanef. Cela va de simples oublis de paiement à des erreurs de lecture de plaque, en passant par des contestations de relances ou des problèmes liés aux voitures de location.
Les loueurs de véhicules sont d’ailleurs les principaux concernés par ces difficultés. En l’absence d’identification précise du conducteur au moment du passage, c’est souvent la société de location qui reçoit les relances et doit ensuite se charger d’identifier le véritable usager. Cette gymnastique administrative entraîne des retards, des incompréhensions, et alimente une part non négligeable des litiges en cours.
Chez les particuliers, des dysfonctionnements peuvent aussi survenir : plaques mal enregistrées, lettres non reçues, paiements effectués mais non reconnus. Résultat : le service client est parfois débordé et les usagers agacés. À ce jour, le système reste tolérant : bien qu’une majoration soit censée s’appliquer après 72 heures, il est encore possible, dans les faits, de régler son péage sans surcoût plusieurs jours après le passage.
Une transition encore en rodage
La Sanef ne cache pas que ce système est encore en phase de rodage. Pourtant, le potentiel est immense. Le péage sans barrières représente une économie d’infrastructure physique, moins de personnel dédié aux guérites, une meilleure gestion des flux de circulation, et une incitation à la digitalisation des paiements. Il s’inscrit dans une tendance de fond : celle d’une mobilité plus fluide, plus connectée, et moins intrusive pour les conducteurs.
Les résultats obtenus sur l’A13 et l’A14 pourraient servir de modèle pour d’autres axes autoroutiers à l’avenir. Mais pour cela, plusieurs ajustements devront être mis en œuvre. Il faudra affiner la lecture automatisée des plaques, simplifier les procédures de contestation et renforcer la communication avec les usagers, notamment les conducteurs occasionnels ou étrangers, peu familiers avec ce système.
Vers une généralisation du péage en flux libre ?
À terme, le modèle pourrait s’étendre sur d’autres portions du réseau autoroutier français. La Sanef le reconnaît : les enseignements tirés de cette première année sont précieux pour affiner le dispositif. En parallèle, l’expérience internationale démontre qu’un modèle sans barrière peut fonctionner durablement, à condition d’accompagner efficacement la transition.
La clé du succès réside dans l’équilibre entre automatisation et accompagnement humain. Si 94 % des paiements sont effectués sans relance, le traitement des 6 % restants représente un défi de taille. Et plus le dispositif s’étendra, plus ce pourcentage pèsera lourd dans la balance.
En conclusion, le péage en flux libre marque une avancée incontestable vers une autoroute plus fluide et plus moderne. Mais il rappelle aussi que toute innovation, aussi prometteuse soit-elle, nécessite une gestion fine de ses effets secondaires. Entre promesse technologique et réalité de terrain, l’équation reste à affiner pour faire de cette autoroute du futur un succès durable.